Editions du Cygne

 

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Hector Poullet et Monique Raikovic
(photo de Michèle Brière)

Au milieu d’une vie professionnelle partagée entre l’exercice de la médecine générale et le journalisme médical, Monique RAIKOVIC s’est engagée dans une carrière littéraire qu’elle nomme son « Panthéon des différences ».

Elle est l’auteure de B. comme Bonhomme

L’Allée des lilas et Le Réverbère de la rue MalebrancheMama Mondésir est son quatrième roman.

Entre roman et récit, il y a cette convergence de personnages inscrits dans une mémoire et dans un paysage ; ce lac de barrage environné du silence des parois à vif des monts à une altitude et dans une zone où l'on ne sait plus très bien où passent les frontières entre l'Autriche, la Suisse et l'Allemagne. Auprès de la digue de béton, on peut y voir une plaque commémorative avec une date : 1942... et des noms, une liste de noms à consonances d'Europe centrale. 

Peut-être parce que khurbn sonne comme un lugubre hululement tandis que shoah s'efface aussitôt prononcé... Peut-être parce que par-delà les drames individuels qui imprègnent les romans familiaux, il y a cette perpétuelle persistance de témoins qui échappent à leurs bourreaux et parlent quand le temps en est venu... Peut-être pour cela, il faut lire cette œuvre empreinte de densité et de justesse. 

L'hébraïsme Khurbn désigne les deux désastres historiques qui, dans l'Antiquité, ont, à chaque fois, condamné le peuple juif à l'exil. Et les Juifs d'Europe ont cru reconnaître dans les persécutions nazies la mise en œuvre d'un nouveau Khurbn alors qu'il s'agissait, cette fois, d'un programme industriel planifié d'anéantissement d'eux tous à travers la mise à mort de chacun d'entre eux. Pour dire ce crime, l'Histoire a retenu le mot hébreu Shoah – lequel avait initialement la même signification que Khurbn – après que Claude Lanzmann eut intitulé ainsi son film de témoignages, donnant ainsi à l'innommable un nom qui s'est imposé au monde entier.

« J’ai découvert Lech am Arlberg en août 1959. Station de montagne encore modeste, ce village avait conservé son caractère rustique typiquement autrichien. Il ne manquait pas un élément à l’image que j’avais en tête en pénétrant dans la vallée haute du Vorarlberg qui lui sert d’écrin. Je suppose que cette image perdure avec le Lech naissant qui balafre la vallée, traversant le village en grondant, le pont couvert qui enjambe le torrent et mène à une place ornée d’une fontaine, l’église baroque avec clocher bulbeux, cimetière en ceinturon et, alentour, les chalets aux balcons croulant sous les fleurs de leurs jardinières, à la belle saison. Mais ce vieux village ne doit plus être que le cœur d’un Lech am Arlberg qui a beaucoup grandi pour accéder au rang, qui est le sien aujourd’hui, de station de sports d’hiver de renommée internationale. En 1959. Il semblait avoir échappé au temps, à l’Histoire. 
Mais, sur un marbre abrité des neiges de l’hiver par l’auvent de l’église, étaient gravés les noms des hommes du village tombés lors des deux guerres mondiales. Deux longues listes. Avec les mêmes patronymes à chaque fois, ceux-là mêmes qui figuraient sur les dépliants vantant la qualité de l’accueil des habitants de la vallée.
À l’intérieur de l’église, un squelette enrubanné se tenait allongé dans la châsse de verre qui servait d’autel à l’une des chapelles latérales. Le buste à demi redressé, il prenait appui sur un coude, son crâne reposant sur les os de ses doigts chargés de bagues pour contempler les vivants de ses orbites vides. Cette effusion du passé dans le présent s’est fichée dans ma mémoire.
Je ne suis jamais revenue à Lech am Arlberg. Mais les images que j’en ai gardées n’ont cessé de ricocher sur ma propre histoire, enclenchant en moi d’étranges remous. »

 

« J’ai découvert Lech am Arlberg en août 1959. Station de montagne encore modeste, ce village avait conservé son caractère rustique typiquement autrichien. Il ne manquait pas un élément à l’image que j’avais en tête en pénétrant dans la vallée haute du Vorarlberg qui lui sert d’écrin. Il semblait avoir échappé au temps, à l’Histoire. En fait, il était peuplé d’ombres et de souvenirs qui ne demandaient qu’à se manifester au promeneur attentif aux traces laissées sur certaines tombes du petit cimetière enroulé autour de l’église baroque ; à l’énigme de l’homme dont le squelette reposait dans la chapelle latérale droite de cette église et qu’on disait être saint Placide mais sans savoir de quel Placide il s’agissait ; aux noms gravés dans le marbre au cœur du village comme à ceux inscrits sur la digue d’un lac de barrage haut, au-dessus du village…  

Sans doute est-il beaucoup plus difficile d’être attentif à ces voix du passé, aujourd’hui où Lech am Arlberg est devenu une station de sports d’hiver mondialement célèbre. Et pourtant, elles sont toujours présentes et même, plus nombreuses qu’elles ne l’ont jamais été, voix de gens du village et voix de gens de passage mêlées. Dans ce village, au creux de cette haute vallée du Vorarlberg, le sable de l’Histoire circule simultanément de haut en bas, de bas en haut, dans le sablier du temps. Les personnages que j’y ai rencontrés ne sont autres que quelques-uns de ces grains de sable à notre image. »

Quand l’Histoire piétine les boîtes à musique des histoires familiales, quand il ne reste aux survivants que des mémoires blessées, il revient aux descendants de redécouvrir leur petite musique filiale, la seule qui leur permette d’affirmer leur pleine identité. C’est ainsi que Monique Raikovic est parvenue à se trouver en renouant avec des origines juives ashkénazes enracinées dans l’Odessa de l’empire tsariste :

« En mars 1943, j’ai eu cinq ans. C’était la guerre, nous raconte-t-elle. Ma mère me disait souvent que j’avais de la chance, beaucoup de chance, ce qui m’exaspérait. Parce que je percevais ces propos comme un reproche, comme si elle me signifiait du même coup que cette chance, je ne la méritais pas. Je ne devais en comprendre la signification qu’en 1946. 

Mais en s’expliquant ma mère me chargeait d’un secret : personne dans notre entourage ne devait savoir qu’elle était d’origine juive. Du même coup, elle me rendait incompréhensibles ses parents, si différents de mes grands-parents paternels. J’avais huit ans. À cet âge, on ne trahit pas un secret, jamais. On ne sait pas, non plus, qu’au fil des années, on va se construire avec, puis, contre ce secret. Mais, quand on parviendra à se libérer de son emprise, on découvrira que celui-ci nous a fait ce qu’on est devenu. »